« Trois petites notes de musique qui vous font la nique du font des souvenirs…. »

Publié le par Angélique RICHARD

Extrait clinique, vignette d'une intervention en art-thérapie dans un EHPAD

 

Monsieur Luluh a 87 ans il est atteint de maladie d’alzheimer à un stade avancé, mais il ne réside pas dans l’unité de soin protégée. Il est arrivé dans cet EHPAD depuis presque deux ans. Il est des jours ou Monsieur Luluh se met en colère et devient agressif à l’encontre du personnel le plus souvent et plus rarement à l’encontre d’autres résidents. Il est souvent seul ou attablé avec d’autres les échanges sont alors très pauvres, mais son visage demeure très expressif.

C’est en travaillant autour du récit de vie (constitution d’un livret de vie) en atelier individuel que je chemine aux côtés de Monsieur Luluh. Il ne peut pas écrire, je prends note pour lui, je lui propose de choisir des images, de dessiner ou de peindre et à chaque fois je ramène le travail des fois précédentes. Nous avons des « rituels » petites habitudes en référence à notre rencontre : une carafe d’eau pleine et fraiche (Mr Luluh répétera son plaisir de boire un verre d’eau si fraiche), parfois du sirop de menthe et un gâteau que je me débrouille à avoir, car Monsieur Luluh est gourmand. Cette habitude n’est pas anodine Monsieur Luluh l’associe à l’une de ses professions « serveur, patron de bar ».

Ce livret n’est pas une « belle » production académique il a pour vocation d’accueillir de la façon la plus simple et la plus adaptée à Monsieur Luluh ses propos, de lui laisser le plus d’espace de construction possible tout gardant ma main a proximité s’il en a besoin. Peu à peu (alors que l’évolution des différents symptômes s’accélère) je deviens la réalisatrice du livret, mais Mr Luluh demeure l’auteur et conserve le choix. 

 

Alors que nous nous sommes rencontrés pendant trois mois son état va s’aggraver de façon importante (détérioration physique et psychique). Monsieur Luluh continuera à dire, puis il peindra les feuilles avec des couleurs qui seront le fond, le support des dires que nous mettons en pages et enfin il feuillettera son livret quand il sera trop difficile de poursuivre. Monsieur Luluh décédera  après un séjour de trois semaines à l’hôpital alors que je lui avais présenté le premier tome relié, le deuxième tome ….

 

Comme je dois me déplacer dans les différents « secteurs de la résidence » je prends à chaque fois un panier en osier tressé pour transporter du matériel de la réserve à l’endroit de l’atelier : souvent de la peinture, des feuilles de couleurs et vierges, stylos, feutres, revues. Ce panier a souvent attiré les résidents qui sont issus d’un milieu rural et ont eux-même tressés l’osier ou en ont le souvenir. Les détails importent.

Un jour alors que Monsieur Luluh est seul à une table, il paraît désemparé et marmonne quelques propos que je ne saisis pas. Je m’approche de lui et me présente. Je lui demande si je peux m’asseoir, il me répond que oui mais qu’il n’a rien à m’offrir à boire : c’est alors que je comprend son embarras et ses propos : une carafe pleine devant lui, mais pas de verre : Monsieur Luluh ne sait pas où se trouvent les verres et il a soif . 

 

Autour d’un verre d’eau fraiche Monsieur Luluh retrouve retrouve le sourire et me demande ce qu’il y a dans mon panier. Je lui montre. Monsieur Luluh comprend de tout ce bric à brac une chose dit-il :  mon travail n’a pas l’air facile et le voilà qui commence alors à me parler de sa vie professionnelle. C’est ainsi que chaque semaine je propose un temps d’atelier individuel à Monsieur Luluh pendant lequel il raconte des traces de sa vie que je mets sur des feuilles en lui demandant  des précisions en faisant des recherches sur les sujets qu’il aborde je lui propose de relire les ce qui a été tissé jusqu’alors et de choisir des images, de dessiner. Ainsi Monsieur Luluh raconte et parfois met en acte les moments de sa vie qui paraissent le sortir de l’état quelque peu mutique dans lequel il se trouve. Il s’anime à raconter, se répète aussi souvent .

Le fait de retrouver ce qui a été dit et fait les fois précédentes le relance vers d’autres souvenirs ou lui en font développer ou préciser certains. Après trois ou quatre rencontres il me reconnaît systématiquement je suis apelée « ma petite » ainsi nommée  il n’y a plus d’embarras avec le souvenir d’un prénom…

Il associe nos ateliers de récit de vie au labeur professionnel souvent, aussi cela lui donne du « travail », se pourrait-il qu’il se sente narcissiquement revalorisé par ces rencontres ? Il semblerait que désormais avec ces ateliers Mr Luluh ait un travail et que ceci l’inscrive à nouveau dans un environnement où il à sa place, son utilité et qu’il se sente valorisé et reconnu enfin sous cette idée de labeur.  Il redevient à nouveau ce sujet trébuchant dans les trous de sa mémoire, mais faisant tout de même chemin en bricolant comme il peut.

 

Il quitte ainsi la posture inconfortable d’objet de soin désorienté, son agressivité est apaisée en effet il comme euphorisé par ces ateliers et lorsqu’ils sont terminés il va s’asseoir près de quelques autres résidents et tente de plaisanter ou sourit. Il accepte les questions (simples) des soignants et répond souvent de façon souvent adaptée ou bien masque la défaillance par un trait d’esprit. 


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H
<br /> Bonjour angelique<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> je ne sais pas si tu consulte toujours ton blog. peut etre te souvient tu d'un collegue sympa (moi...lol) chez kast telecom<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> j'espere que tu va bien et te lire serait un vrai plaisir<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> a bientôt peut etre<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Hervé (ex commercial kast)<br />
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P
<br /> <br /> Très bel article, et très beau titre. Encore qu'une autre chanson aurait pu<br /> l'illustrer...<br /> <br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> C'est un putain de texte bien écrit qui me donne grave envi de rebosser. Bravo NJ <br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Arisitide...Viande, il s'agit de désir et de cadre. D'amour, d'adresse et de tresse.Une rencontre poétique ou c'est l'oreille qui suspendue , ligottent quelques syllabes sur un carnet d'Hérmes.Le<br /> mots circulent trouvent une adresse, et on voit inscrit ici toute la beauté d'un geste, et surtout surtout cette oreille que je connais bien , une oreille toute en tendresse. <br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Je dirais même, de mesure et d'avantage, raisonnable Aristide : Pas si censsé de faire quelques chose demain (  de plus, des deux mains de dément censsé )<br /> <br /> <br /> <br />
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